5

Quelque part en Afrique australe.

 

À mesure des interrogatoires, Juliette commençait à cerner la personnalité de ses geôliers. Ils avaient beau se donner des airs menaçants, elle ne les tenait pas en très haute estime du point de vue professionnel. L’Américaine était impulsive et émotive. Elle cachait mal ses réactions et ses questions étaient trop directes. Quant à l’homme, qu’il fût sud-africain ou autre, il était manifeste qu’il n’avait pratiqué que des interrogatoires musclés. Il avait envie de frapper et faisait de grands efforts pour se contrôler. Tout cela créait chez Juliette un sentiment d’inquiétude qu’augmentait encore son impatience. Elle était en permanence au seuil du rire et des larmes. En lançant son coup de poker, à Chaulmes, devant Jonathan, elle savait combien ses chances de réussite étaient minces. Et voilà qu’elle se retrouvait sur un continent inconnu, au cœur d’une affaire dont elle ignorait tout et face à des gens autrement plus menaçants que son ex-petit ami, dilettante et velléitaire.

Et encore les deux encagoulés n’étaient-ils que des exécutants assez frustes. Ils semblaient soumis à un plan élaboré par quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui prenait garde à ne pas apparaître encore. Peut-être n’était-il même pas sur place. Jamais Juliette n’avait vu les enquêteurs sortir de la pièce pour consulter une ou plusieurs personnes qui se seraient tenues à proximité. Mais, à la fin de chaque interrogatoire, le couple avait l’air désemparé, comme si le stock de questions qu’on avait préparé pour eux était épuisé. Ils revenaient la nuit suivante avec une batterie de sujets renouvelée.

C’est exactement ce qui se produisit ce soir-là, quand ils remirent sur la table la question de Jonathan.

— Qu’est-ce qu’il vous a dit exactement à propos de sa vie ?

— Il m’a raconté qu’il avait vécu aux États-Unis comme moi et à peu près à la même époque.

— Vous a-t-il expliqué pourquoi ?

— Il était lecteur de français dans un collège.

— Lequel ?

— Brynmore, près de Washington. Un collège de filles. D’ailleurs, j’ai l’impression qu’il en a bien profité...

— Est-ce qu’il vous a parlé de son engagement militant ? coupa sèchement l’Américaine, qui ne paraissait pas vouloir laisser Juliette exercer son ironie toute française sur un des plus prestigieux collèges des États-Unis.

Avec l’habitude de ces nuits de confidence, Juliette prenait des libertés avec ses hôtes forcés. Parfois, elle ne répondait pas directement mais se lançait dans des digressions. Il lui suffisait de suivre le cours toujours chaotique et décousu des idées qui fuyaient dans sa tête. Cela agaçait ses interlocuteurs, mais, en même temps, ils n’en étaient pas mécontents. Ils pouvaient ainsi éviter de puiser trop vite dans la musette de questions avec laquelle ils devaient tenir toute la nuit.

— Vous savez, à cette époque, j’étais encore sous le coup de cette histoire avec Greenworld.

Et Juliette s’était mise à raconter de nouveau par le menu ses faits et gestes à Greenworld. Au bout d’un moment, l’Américaine finit par s’impatienter.

— Je vous ai demandé si Jonathan vous a parlé de son engagement à lui aux États-Unis.

— Il ne m’a pas donné de détails. Mais, indirectement, oui, il m’en a parlé.

— Indirectement ? grogna le Sud-Africain en serrant les poings.

— Il faut comprendre. À cette époque-là, j’étais tombée de haut. Après la gloire, l’exaltation momentanée, je voyais tout en noir. J’avais un dégoût complet pour le monde. Jonathan m’a dit les mots qu’il fallait. Et je pense que ces mots étaient tirés de son expérience américaine.

— Quels mots ?

— Il m’a dit que partout dans le monde et à toutes les époques de l’Histoire, les grands idéaux avaient été trahis par des gens qui prétendaient les défendre, mais ne se montraient pas à la hauteur. C’est comme ça que toutes les révolutions avaient fini par sombrer dans le réformisme bourgeois. L’écologie, pour lui, était le combat ultime. Celui qui ne défendait plus les intérêts d’une société ou même d’une espèce, mais qui déciderait du sort de la planète tout entière. Mais cette révolution-là ne faisait pas exception à la règle. Elle était en train de sombrer elle aussi dans les déviations et les compromis.

Depuis deux nuits, l’Américaine s’était munie d’un bloc-notes, peut-être pour se donner une contenance pendant ces longues heures assez vides. Elle paraissait très intéressée par les déclarations de Juliette et écrivait fébrilement sans lever le nez.

— Selon lui, la France est sans doute le pays du monde où le débat écologique est le plus mou. Les écolos français sont immergés jusqu’au cou dans le jeu politique. Ils ont pris goût au pouvoir et pratiquent le compromis de façon écœurante. Même ceux qui restent en dehors et se prétendent libres, comme les militants de Greenworld, sont effrayés dès que leurs actions les mènent un peu trop loin. C’était exactement ce que j’avais ressenti aussi. Après la manif où j’avais été blessée, je m’étais senti une âme de Jeanne d’Arc. J’avais voulu mener le combat aux extrêmes et finalement les apparatchiks avaient pris peur et s’étaient lamentablement dégonflés.

— Ne revenez pas encore sur la France. On vous demande ce qu’il vous a raconté sur les États-Unis.

— Justement. D’après ce que j’ai compris, là-bas, il y a des groupes écolos plus musclés, avec de vraies ambitions révolutionnaires. Jonathan avait adhéré à un groupe de ce genre qui avait une antenne assez active au collège de Brynmore. Le connaissant, je pense qu’il devait y avoir une ou deux filles là-dedans qui l’intéressaient…

— Vous ne croyez pas à la sincérité de son engagement ? coupa l’Américaine.

— Difficile de savoir. Il y a toujours chez lui ce petit fond de détachement, d’ironie.

Pendant ses longues heures de solitude entre les interrogatoires, Juliette avait beaucoup pensé à Jonathan. Elle sentait que ses sentiments à son égard commençaient à se décanter. Après la passion – brève – puis le mépris, venait le temps d’une forme de tendresse sans illusion.

— Comment s’appelait l’organisation pour laquelle il militait ?

— One Earth.

— Vous la connaissiez ?

— Non. Elle n’existe pas en Europe.

— Vous avez cherché à vous renseigner ?

— Non. D’après ce qu’il m’en a dit, One Earth avait été créée aux États-Unis pour rompre avec le train-train des associations classiques de protection de la nature, type Sierra Club. Sa vocation de départ était un militantisme plus direct, éventuellement violent. C’est ce qui l’avait attiré. Mais il s’était finalement rendu compte que l’organisation en question avait elle aussi trahi ses principes. Apparemment, ses dirigeants se sont embourgeoisés.

— Il vous a dit s’il avait quitté l’organisation ?

Juliette connaissait assez ses interlocuteurs pour sentir qu’ils en savaient aussi long qu’elle sur ce sujet. Pourtant leur intérêt était manifeste : le Sud-Africain la fixait intensément et sa comparse avait levé les yeux de son bloc.

— Il ne m’a pas donné de détail sur son départ. J’ai seulement compris qu’à la fin de son séjour il y avait des discussions serrées dans l’association. Tout un groupe de militants refusait la dérive réformiste et plaidait pour le retour à une action plus radicale.

— Laquelle ?

— Là-dessus, il est toujours resté très vague.

Elle marqua un temps, suivit dix images de cette époque qui se pressaient dans sa tête.

— Vous savez, on ne se disait pas de choses très précises. On communiait sur une base assez vague d’indignation et de généralités. On se gavait de mots creux, d’images de violence, de slogans de haine contre l’ordre industriel et ses flics, les criminels qui tuent la planète, ces trucs-là… Et ça me faisait du bien.

— Il vous a expliqué pourquoi il avait quitté les États-Unis ?

— Son stage était terminé, c’est tout. Ses parents voulaient qu’il finisse ses études.

— Vous n’avez pas été surprise que ce grand révolté rentre sagement chez ses parents ?

— J’ai compris plus tard. À ce moment-là, il ne m’a pas présenté l’affaire de cette manière. Il m’a dit que les membres du groupe radical auxquels il était lié avaient finalement fait sécession et l’avaient encouragé à rentrer. Ils gardaient des relations avec lui et il pensait leur être plus utile en leur servant de relais en Europe. Il m’a laissé entendre qu’une occasion se présenterait peut-être un jour d’agir pour eux. Je lui ai dit que si cela se produisait, j’aimerais beaucoup qu’il fasse appel à moi.

— Quand cela se passait-il exactement ?

— Il y a deux ans.

— Vous êtes restés ensemble pendant ces deux années ?

— Non j’ai réussi mes examens et je me suis installée à Chaulmes comme professeur au collège de Montbéliard. Jonathan est resté à Lyon. On a commencé à moins se voir.

— Il vous était fidèle ?

En l’entendant poser cette question, l’Américaine jeta un regard furieux à son collègue.

— Ça m’était égal. Je n’étais plus amoureuse de lui.

— Pourquoi ? insista le Sud-Africain.

— J’avais repéré quelques mensonges qui m’avaient un peu écœurée.

— À quel sujet ?

— Sa vie, ses parents.

— Vous les connaissiez ?

— Non et il n’en parlait pas. Au début j’avais cru qu’il était quelqu’un de libre comme moi et que sa première révolte avait été de se détourner de sa famille. En fait, je me suis rendu compte petit à petit que c’était tout le contraire. Sa chambre était payée par ses parents et il allait régulièrement chez eux leur taper de l’argent.

— Vous lui avez demandé des explications ?

— Non. Je me suis éloignée de lui, c’est tout. Et comme peu de temps après j’ai trouvé ce poste dans le Jura, on s’est séparés en douceur.

— Vous savez ce que font ses parents ?

— Je l’ai découvert plus tard.

— Quand ?

— Quand il m’a demandé de l’aider pour Wroclaw.

— Et pourquoi avez-vous cherché à savoir qui étaient ses parents à ce moment-là ?

— Je n’ai pas cherché. J’ai découvert leur identité par hasard, en voulant le joindre, lui. Il m’avait donné un numéro de portable qui ne répondait jamais. J’ai essayé d’aller le voir là où il habitait. Mais l’adresse qu’il m’avait laissée était celle de ses parents. Je suis tombée sur leur nom, celui de son beau-père plutôt. Avec une petite recherche sur Internet, j’ai compris qui il était.

— C’est-à-dire ?

— Un gros industriel de l’armement. Un pollueur de première et un marchand de mort, de surcroît. Le genre de type que tout mouvement écolo se devrait de mettre en haut de ses listes noires.

— Mais ça ne vous a pas empêchée de faire ce que Jonathan vous demandait ?

— Non, dit Juliette pensivement. C’est bizarre, n’est-ce pas ?

Elle avait souvent repensé à leur première rencontre, lors de l’opération manquée contre la centrale nucléaire. Jonathan n’était pas au café parce qu’il s’était perdu – elle en était certaine maintenant. Il avait délibérément faussé compagnie aux autres militants pour éviter les heurts avec la police. C’était un lâche, incapable de prendre le moindre risque par lui-même.

Pourtant, à ce moment précis de l’interrogatoire, il lui sembla nécessaire de faire passer un message positif à propos de Jonathan. Elle ignorait exactement pourquoi, mais elle avait l’intuition que leurs destins, dans cette affaire, étaient liés. Affirmer la loyauté de Jonathan, c’était aussi se porter garant de la sienne propre.

— Bien sûr, dit-elle, il n’a jamais assumé sa révolte. Pourtant, à sa manière, il est sincère. Je suis persuadée qu’il est loyal au groupe qu’il a connu aux États-Unis.

Les deux enquêteurs fourrèrent avidement ces derniers mots dans leur besace et déclarèrent la séance levée pour cette nuit-là.

Juliette n’aimait pas ces interrogatoires mais au moins correspondaient-ils à son état d’esprit : ils la contraignaient à réfléchir vite, à anticiper les coups, à tenir sa conscience dans une hypervigilance permanente. Le cours précipité de ses pensées était canalisé par les questions et les réactions de ses interlocuteurs.

Elle supportait beaucoup plus mal les journées. Ses idées n’avaient plus rien pour retenir leur flot. Un torrent de souvenirs, d’images, de désirs volatils la submergeait. Elle passait son temps debout, à tourner dans sa chambre et dans la cour attenante, à faire n’importe quoi pour s’occuper les mains. Elle parvint à dilacérer fil à fil une pièce de toile tissée serré qui traînait dans la cour. Cette agitation l’empêchait de trouver le sommeil et elle n’en souffrait pas. Elle était comme un taureau de corrida parfaitement conscient du combat qu’il allait livrer. Dans le noir silence de son corral, elle rêvait déjà aux couleurs dorées de l’arène et aux acclamations de la foule venue voir couler son sang. Cette impatience s’accroissait à mesure que l’interrogatoire avançait et, elle le sentait, approchait de son terme. La nuit suivante, ces pressentiments révélèrent leur bien-fondé.

— Comment Jonathan vous a-t-il présenté précisément l’affaire de Wroclaw ? attaqua l’Américaine.

« Nous y sommes », pensa Juliette, raide sur sa chaise, l’esprit clair, tous les sens tendus comme des poings nus.

— Il m’a dit que le groupe dont il m’avait parlé l’avait contacté et qu’il projetait une opération en Europe.

— De quelle nature ?

Apparemment, l’Américaine, cette nuit, avait été préparée pour mener seule l’interrogatoire.

— Il m’a dit qu’il s’agissait de délivrer des animaux de laboratoire.

— Vous pensiez que le groupe auquel était lié Jonathan en Amérique s’intéressait à la libération animale ?

— Je savais qu’ils prônaient l’action directe pour protéger la nature.

— Comment a-t-il justifié le choix de la cible ?

— Il ne l’a pas fait. La vérité, c’est que je n’ai rien demandé. J’étais heureuse à l’idée d’avoir de nouveau un rôle actif à jouer.

— Rien ne vous a paru bizarre dans la description de l’opération ?

— Non. Ce qui aurait pu me surprendre, il me l’a expliqué.

— Par exemple ?

— Le fait de laisser des traces doubles, comme si deux personnes avaient participé au commando. C’était pour brouiller les pistes au passage de frontière et égarer les enquêteurs.

— Les destructions dans le laboratoire ?

— Jonathan disait qu’il ne fallait pas seulement libérer les animaux. Dans l’état où elles étaient, les malheureuses bêtes, de toute façon, n’iraient pas très loin. Il fallait punir ceux qui commettaient de tels actes. L’idée me plaisait beaucoup.

Un long silence suivit cette déclaration. Le Sud-Africain, qui se tenait un peu en arrière, vint se placer près de sa collègue, debout bien en face de Juliette. Il avait des auréoles de sueur autour de ses aisselles et tremblait un peu.

— Jonathan vous a-t-il dit pourquoi vous deviez rapporter un flacon fermé par un bouchon rouge ?

— Non.

« S’ils me frappent, c’est maintenant. » Juliette se raidit sur son siège.

— Vous n’avez pas cherché à savoir ce que c’était ?

— Non.

Le Sud-Africain prit la parole. Il sembla à Juliette que son intervention surprenait et irritait sa collègue.

— Et aujourd’hui, vous savez de quoi il s’agit ?

L’Américaine avait bien raison de s’alarmer. Par sa précipitation, l’homme révélait qu’ils étaient impatients et mal à l’aise en abordant cette phase cruciale de l’interrogatoire. Juliette se détendit, recula un peu et prit appui sur le dossier de sa chaise.

— Jonathan avait suggéré à demi-mot que cette opération s’intégrait dans un ensemble plus vaste. Qu’elle était une pièce dans un édifice.

Dans l’air chaud de la nuit venaient des coassements, des froissements de feuillage, peut-être, très lointain, un bruit de tambour.

— Le lien entre l’opération de Wroclaw et la suite ne pouvait être que ce flacon, dit Juliette. Ce n’était pas difficile à comprendre.

— À qui avez-vous fait part de vos déductions ?

— À personne.

— Qui vous a demandé de garder ce flacon ?

— Personne.

— Qui vous a donné l’idée de vous en servir pour faire un chantage ?

— Je ne fais pas de chantage.

— Alors pourquoi ne pas le remettre à ceux qui vous l’ont demandé ?

— Vous voulez saboter le projet ? ajouta avec hargne le Sud-Africain, en se penchant un peu en avant.

— Je veux seulement continuer.

Juliette les regardait bien en face sans ciller. Depuis Wroclaw, sa décision était prise. Elle avait tourné la page de la mélancolie. Elle avait retrouvé le bien-être exalté qu’elle avait découvert la première fois à la manif de Greenworld et qu’elle avait cherché en vain à reproduire pendant ces années de solitude. Que cela leur plaise ou non, elle continuerait. Personne, cette fois, ne se débarrasserait d’elle.

— Cet objet, quel qu’il soit, et moi, c’est pareil, prononça-t-elle fermement. Ce que j’ai fait pour vous à Wroclaw, je l’ai bien fait. Je continuerai. Personne n’est au courant. Personne ne me l’a demandé. J’ai décidé ça toute seule. Mais j’irai jusqu’au bout.

Après ces nuits d’interrogatoire, une forme d’intimité hostile avait fini par se créer entre elle et ceux qui la tenaient prisonnière. Elle avait appris à les connaître. Aussi obtus qu’ils fussent, ils n’avaient pas pu ne pas apprendre à lire en elle et à démêler le vrai du faux dans ses paroles.

Un silence s’éternisa. Quand l’Américaine reprit la parole, le ton avait baissé.

— Où est-il ?

— Quoi ?

— Ce flacon ?

Juliette savait qu’ils détenaient ses affaires et avaient dû les fouiller soigneusement. Elle était été visitée après son départ, ainsi que son studio à Genève et peut-être l’appartement de sa tante.

— En lieu sûr, répondit-elle.

— Où ?

— Aux États-Unis.

D’après les récits de Jonathan, il était clair que le centre de toute l’affaire se trouvait en Amérique. Juliette avait très logiquement anticipé la suite des événements en transférant l’objet là-bas. Elle avait été prise de court en voyant que sa destination était l’Afrique du Sud.

— Où aux États-Unis précisément ? À qui l’avez-vous transmis ?

Visiblement, cet aveu suscitait un véritable affolement chez ses interlocuteurs. Ils échafaudaient mentalement des hypothèses qui devaient toutes les effrayer beaucoup. Dans le monde paranoïaque des organisations radicales, toutes les trahisons sont à craindre. Jonathan lui avait suffisamment parlé de cela. Juliette avait fait le pari que ces peurs pouvaient jouer en sa faveur, si elle savait laisser planer un doute crédible sur ses contacts et sur ses intentions. Mais c’était un pari risqué.

— Il est inutile que je vous le dise. Ceux qui détiennent ce flacon ne le remettront qu’à moi-même et en ma présence.

Depuis le début de la soirée, Juliette regardait les mains de l’homme, des mains carrées au dos couvert de poils noirs. Elle se demandait quel usage il en ferait sur elle : la gifler, la frapper, l’étrangler ? De plus en plus impatientes, ces deux mains attendaient que soit terminé le temps des mots.

Le silence qui suivit ses dernières paroles était celui de tous les choix. Juliette avait clairement fixé les termes de l’alternative. Soit l’accepter comme membre du groupe et disposer pour la cause de son énergie, de sa loyauté. Soit entrer avec elle dans une épreuve de force incertaine. Des deux côtés existait un risque. Des deux côtés, il y avait elle. Il était impossible de l’éliminer, sauf à tout perdre.

Soudain, Juliette comprit, à un geste de l’Américaine, que l’option violente était pour l’instant écartée. Sans doute devaient-ils se concerter avec leurs mystérieux correspondants.

Sans un mot, ils la raccompagnèrent à sa chambre. Le Sud-Africain en claqua nerveusement la porte et ses mains durent se contenter de frapper le verrou avec brutalité. Pour la première fois depuis son arrivée, Juliette était enfermée dans l’étroit espace d’une cellule.

Le relâchement de la tension la fît plonger dans le sommeil. Elle se réveilla au milieu de l’après-midi suivant, la joue marquée par les plis de l’oreiller, un filet de salive sèche au coin des lèvres. En fait, c’était le bruit du verrou qui l’avait tirée du sommeil. Elle n’eut pas le temps de se demander ce qui allait arriver. La porte s’ouvrit sur deux Africains vêtus de tee-shirts bleus à manches courtes. L’un d’eux portait une valise que Juliette reconnut comme la sienne. Ils lui firent signe de les suivre. Avant de sortir de la cour, ils lui placèrent un bandeau sur les yeux.

Le trajet en voiture fut assez court. Par la vitre ouverte entrait un air sec et chaud que Juliette respira avec bonheur. Puis elle sentit des odeurs de kérosène, reconnut le contact des sièges en cuir du bimoteur qui l’avait amenée. Quelqu’un lui ôta son bandeau. Deux heures plus tard, elle était à Johannesburg, à l’aéroport international, un billet en main à destination de Miami.

En arpentant les couloirs en marbre noir de l’aérogare, elle se surprit à chanter toute seule. Elle avait gagné la première manche.

Le Parfum D'Adam
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